dimanche 2 février 2020

1. Pastiches et anachronismes au XIXe siècle : La confusion des styles

Angle de la rue Pergolèse et du 66-68, avenue Foch, XVIème arrondissement
Selon Jean-Marc Larbodière dans son œuvre intitulée Les hôtels particuliers parisiens c'est à partir de la Restauration que l'on va bâtir de plus en plus. Cette volonté de construction va perdurer jusqu'à la première guerre mondiale soit en 1914.

Des demeures parfois luxueuses vont essaimer surtout dans l'ouest parisien comme l'atteste la photo ci-dessus.

66-68, avenue Foch, vue de l'entrée principale de l'hôtel particulier
De quel style est cet hôtel particulier?

L'édifice du 66-68, avenue Foch est l'œuvre d'Armand Pollet conçu en 1883 selon la documentation du Plan Local de l'Urbanisme (PLU). Avec ses fenêtres encadrées d'ornementations, ses pilastres corinthiens revisités (autour de la fenêtre au centre et à droite), ses colonnes corinthiennes et ses abondantes sculptures, on peut parler de style néo-renaissance. Nous ne sommes pas en pleine Renaissance car on voit des lucarnes au niveau du toit. De plus, l'immeuble est bâti en pierre de taille.

Durant tout le XIXème siècle, on va assister à ce type de mélange en architecture.

La tendance haussmannienne

40, rue Barbet-de-Jouy, VIIème arrondissement
Sous le Second-Empire, Paris va devenir un énorme chantier qui va faire appel à plus de huit millions d'entreprises du bâtiment selon Jean-Marc Larbodière. Jamais la capitale n'a connue jusque là d'aussi grandes transformations. Outre les hôtels particuliers, on construit des mairies, des écoles, des casernes, etc. L'État veut entretenir une nouvelle harmonie visuelle entre immeubles.
Détail de la façade du 40, rue Barbet-de-Jouy
Dans le style haussmannien, on va s'inspirer de l'Antiquité, de la Renaissance italienne, du style Louis XIV, Louis XV et Louis XVI.

Au 40, rue Barbet-de-Jouy on remarque la surabondance des ornementations qui rappellent l'esprit baroque. La Renaissance n'est pas loin non plus avec une façade richement sculptée.
Balcon de l'entrée du 40, rue Barbet-de-Jouy
Cet édifice de 1863 présente également des sculptures animalières notamment le lion qui symbolise la force et une chimère. L'originalité de cette porte d'entrée constitue le balcon situé juste au-dessus de la porte où les animaux font office de cariatides.
Détail du 40, rue Barbet-de-Jouy
Aucun détail n'est oublié car même le réverbère en forme de théière est sophistiqué !
5, avenue Van Dyck, VIIIème arrondissement
Autre exemple d'immeuble haussmannien à l'esprit baroque, l'hôtel Menier situé au 5, avenue Van Dyck. Cet hôtel particulier est accessible par l'une des entrées du parc Monceau ce qui explique la présence de la végétation sur la photo.

Selon la documentation du PLU, l'hôtel Menier aurait été construit dans les années 1872-1874 par l'architecte Henri Parent pour Émile Justin Menier, le célèbre fabriquant de chocolat.

Cet immeuble de trois étages est doté de sculptures attribuées à Jules Dalou. Selon Gilles Plum dans sa conférence intitulée « La rue et ses façades : l'ornementation est-elle un crime ? » au dernier quart du XIXème siècle, on va faire appel à des sculpteurs de renom pour des immeubles d'habitations. Ces ornementations permettent de donner de l'importance à celui qui y habite.
Porte d'entrée de l'hôtel Menier
Dès l'entrée, on voit face à nous un passage ouvert qui nous mène vers les écuries qui s'y trouvaient autrefois.

Détail de l'hôtel Menier

Les fenêtres sont pourvues de balustrades noires et dorées en fer forgé comme au XVIIème siècle. Contrairement aux hôtels particuliers du Grand siècle, les fenêtres ne sont pas pourvues de petits carreaux.
L'hôtel Menier est une illustration de l'hôtel particulier très chic de la deuxième moitié du XIXème siècle.

Le style néo-Louis XV

Façade du 7, rond-point des Champs-Elysées, VIIIème arrondissement

Avec sa façade équilibrée et ses lignes courbées on pourrait parler ici du style Louis XV. Toutefois, l'aspect surchargé notamment autour des fenêtres, de la ferronnerie et la présence des mascarons nous font penser aussi à du baroque nous précise Jean-Marc Larbodière.

Alexandre Gady dans son ouvrage intitulé Les hôtels particuliers de Paris. Du Moyen-Âge à la Belle Époque évoque le style néo-Louis XV pour cet édifice.

Il s'agit ici de l'hôtel d'Espeyran selon le PLU, édifice construit par Henri Parent et son neveu Louis pour une certaine Madame Sabatier d'Espeyran. Jacques Hillairet dans son Dictionnaire historique des rue de Paris nous apprend que la comédienne Sophie Croizette, rivale de Sarah Bernhardt y a habité.

Pastiche du style Louis XIII

24bis, boulevard Saint-Germain, Vème arrondissement
Au 24bis, boulevard Saint-Germain et plus précisément à l'angle de la rue de Poissy se trouve un bâtiment dont la façade présente un mélange de brique et de pierre avec un toit en ardoise. Le PLU date l'édifice de 1889-1893 et est l'œuvre de J. Renaud et Testel. Jean-Marc Larbodière explique dans son ouvrage, Les hôtels particuliers parisiens que la brique fait son grand retour à Paris dans les années 1890.

Fenêtre du 24bis, boulevard Saint-Germain, Vème arrondissement
On peut parler ici d'un style néo-Louis XIII car on reconnaît le style typique du début du XVIIème siècle, c'est-à-dire le mélange de la brique et de la pierre qu'on n'avait plus revu depuis la seconde moitié du Grand siècle. Les lucarnes de la photo ci-dessus nous rappellent celles de l'hôtel de Sully.

Détail du 24bis, boulevard Saint-Germain, Vème arrondissement
Nous ne pouvons pas être au XVIIème siècle compte tenu du décor autour des fenêtres par rapport à ce que l'on connaît de l'époque Louis XIII.

Porte d'entrée du 24bis, boulevard Saint-Germain, Vème arrondissement
De plus, la porte d'entrée (photo ci-dessus) comporte des personnages antiques sculptés et des guirlandes de fruits ce qui n'est pas vraiment fréquent au XVIIème siècle…
Du côté de la rue de Poissy

En observant l'ensemble de cette construction, vous découvrirez une passerelle en métal réalisée à la fin du XIXème siècle nous précise le PLU pour relier l'immeuble du 24bis à l'immeuble mitoyen.

De nos jours, cette adresse abrite la Fédération André Maginot, une association consacrée aux anciens combattants.

Éclectisme : imagination ou manque d'imagination ?

101bis, rue du Ranelagh, XVIème arrondissement
On va puiser dans différents styles avec de plus en plus d'imagination sans hésiter à pasticher les anciens styles.
Détail du 101bis, rue du Ranelagh, XVIème arrondissement
En vous promenant dans la rue du Ranelagh dans le XVIème arrondissement, vous croiserez quelques constructions éclectiques telle que celle située au n°101bis (photos ci-dessus).

Cet édifice de Léon Salvan date de 1898 (l'immeuble est daté). Le PLU évoque un style néo-renaissance. Pourtant, on retrouve des caractéristiques du style Louis XIII (le mélange brique-pierre), des encorbellements et des vitraux colorés comme au Moyen-Âge.

Selon l'ouvrage d'Hélène Hatte et de Frédéric Tran, Paris. 300 façades pour les curieux, ce que l'on va appeler « éclectisme », correspond à l'ensemble de ces mélanges. On n'hésite pas à parler de « néo-gothique » ou de « néo-renaissance ». Ces styles vont être très à la mode durant tout le XIXème siècle. Néanmoins, certains n'hésitent pas à évoquer des pastiches ou tout simplement un manque d'imagination.

L'ouest parisien mis à l'honneur

Tous ces styles « néo » se sont exprimés essentiellement dans l'ouest parisien comme nous l'explique Jean-Marc Larbodière. L'aristocratie a tendance à habiter plus dans le centre, notamment autour du faubourg Saint-Germain alors que la grande bourgeoisie va s'installer plutôt dans l'ouest parisien notamment du côté de Passy, Auteuil ou la Plaine Monceau.

En outre, ces constructions bénéficient aussi bien des nouveaux matériaux que des prouesses technologiques de l'époque à l'intérieur : l'eau courante, le téléphone et le « gaz à tous les étages » font leur apparition. Ces hôtels particuliers haut de gamme vont être les premiers à en bénéficier.

L'ouest parisien : exemple du VIIIème arrondissement

Angle de la rue Rembrandt et du 9, rue de Murillo, VIIIème arrondissement
L'immeuble cossu de la photo ci-dessus illustre l'attirance du VIIIème arrondissement auprès de propriétaires issus du milieu industriel ou financier. De nombreux immeubles luxueux vont être construits tout au long du XIXème siècle à l'instar de nombreux musées et salles de spectacles alors qu'auparavant cet arrondissement était peu urbanisé; c'est ce que nous décrit Kervi Le Collen dans son article intitulé « Le 8e arrondissement. Luxe, prestige et spectacle » dans le magazine Paris. De Lutèce à nos jours (le VIIIème arrondissement comprenant aussi bien le quartier de l'Europe que les Champs-Élysées ou la Plaine Monceau telle que la rue de Murillo). Jean-Marc Larbodière dans son ouvrage Les hôtels particuliers parisiens ajoute que cette bourgeoisie récente a remplacé les aristocrates de l'Ancien régime.
Entrée du 9, rue de Murillo, VIIIème arrondissement
Le site Wikipedia n'hésite pas à employer le terme de néo-Louis XIII pour désigner le style architectural de cet immeuble-hôtel particulier. Selon la photo ci-dessus, la brique colorée demeure le principal matériaux de la façade. Le premier étage est constitué uniquement de fenêtres sous formes d'arcades.
Détail du premier étage de la façade
Ces fenêtres sont pourvues d'une frise colorée aux motifs floraux. Quelques mascarons ornent la frise et à l'angle du côté droit de la cour d'entrée de l'immeuble on distingue un animal fabuleux qui tient un grand « C ». Selon le PLU, l'immeuble aurait été construit en 1870 par l'architecte Gustave Clausse. Ce dernier aurait vécu aux rez-de-chaussée et au premier étage — soit dans la partie recouverte de pierre — et aurait loué les étages supérieurs. D'où la présence de la lettre « C ».

Toujours selon le PLU, cette cour contiendrait des vestiges du palais des Tuileries, notamment sur le mur de gauche mais le public n'y a pas accès.
Détail de la fenêtre du 1er étage à l'angle de la rue de Murillo et de la rue Rembrandt

À l'angle de la rue Rembrandt, une fenêtre en forme de serlienne (= groupe de fenêtres dont celle au centre a la forme d'un arc inspiré du style romain) se distingue par ses décorations en polychrome et d'un mascaron. D'immenses pilastres corinthiens entourent les deux fenêtres de cette façade.

Et ailleurs dans Paris ?

Façade du 44, rue Notre-Dame-Des-Victoires, IIème arrondissement
Peut-on rencontrer du style éclectique en dehors de l'ouest parisien ?

On en trouve dans le centre de Paris mais on dispose de beaucoup moins de témoignages que dans les quartiers chics. De plus, ceux du centre ne sont pas forcément les plus sophistiqués — sauf quelques exceptions. Sur la photo ci-dessus, l'immeuble que nous voyons date des années 1830-1840. Selon le PLU cette façade est typique du style néo-renaissance que l'on peut trouver dans le quartier de la Bourse. Cette façade est pourvue au premier étage d'une suite de colonnes corinthiennes torsadées et chaque étage est doté de frises sculptées.
Porte du 44, rue Notre-Dame-Des-Victoires, IIème arrondissement
Quant à la porte (photo ci-dessus), elle possède de beaux pilastres corinthiens et une imposante sculpture décorative.
16, rue de Mazagran, Xème arrondissement
Autre exemple type le 16, rue de Mazagran dans le Xème arrondissement en plein cœur du quartier des Grands-Boulevards. Le PLU évoque un style néo-gothique tendance Louis XII. La façade date l'édifice de 1842, soit à l'époque où la rue de Mazagran a été créée. Ce que l'on remarque est la présence de décorations qui entourent chaque fenêtre. Les deux premiers étages présentent des quadrillages de fleurs. Quant aux troisième et quatrième étage, on peut voir quelques tous petits mascarons à têtes de chiens.
Porte du 16, rue de Mazagran, Xème arrondissement
Enfin, la porte est dans le même esprit que le reste de la façade. Des demies-colonnettes corinthiennes ornent la porte. Au-dessus de cette porte, on distingue des coquillages.

Selon Alexandre Gady dans son ouvrage intitulé Les hôtels particuliers de Paris. Du Moyen-Age à la Belle époque, le style néo-classique va peu à peu disparaître dans la seconde moitié du XIXème siècle pour laisser plus de place au style néo-renaissance et néo-gothique soit l'éclectisme. Ces deux styles, les plus à la mode, sont abordés dans les deux chapitres suivants.

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