Le nu dans l'architecture à Paris ne se résume pas aux cariatides. En vous promenant dans les rues de la capitale, vous croiserez des sculptures de personnages un peu dénudés.
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| 116, rue de Turenne, IIIe arrondissement |
Le nu exposé sur les façades
Les bas reliefs vont orner les façades parisiennes à partir du XVIe siècle avec l'hôtel Carnavalet. Puis ce sont les bâtiments officiels tel que le Louvre qui vont se doter de sculptures. Toutes les sculptures ne représentent pas que des personnages dénudés toutefois, Paris regorge de bas reliefs signés parfois par d'illustres sculpteurs qui ne vont pas se contenter d'un mascaron ou d'un buste.
Nous allons voir dans ce chapitre différentes façades animées de personnages dénudés offerts à la vue de tous.
Les bâtiments officiels
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| 15, rue de Vaugirard, VIe arrondissement |
Les sculptures décorent surtout les frontons des bâtiments officiels comme on peut le voir sur la photo ci-dessus. Nous sommes au palais du Luxembourg occupé de nos jours par le Sénat (pour en connaître un peu plus sur cet édifice, je vous invite à consulter le chapitre consacré au Paris du XVIIe siècle).
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| Façade de la cour d'honneur de la BNF |
La Bibliothèque Nationale de France située au 5, rue Vivienne dans le IIe arrondissement qui en est un autre exemple, a été construite dès le XVIIe siècle. Au XIXe siècle, l'édifice connaît quelques remaniements par différents maîtres d'œuvres dont la cour d'honneur que l'on peut voir en partie sur la photo ci-dessus. On remarque la présence d'un fronton sculpté. Il s'agirait d'une œuvre du sculpteur Charles Degeorge qui représente un personnage féminin demi-nu et assis qui tient une torche de la main droite. Ce personnage est accompagné de putti. Cette œuvre, intitulée La Science servie par des génies selon le site Internet de la BNF serait une allégorie de la science. Cette dernière serait incarnée par le personnage au centre tandis que les génies sont représentés par les putti.
Que ce soit au palais du Luxembourg ou à la Bibliothèque Nationale de France, les figures sont des allégories, très académiques et très classiques.
Dans l'habitat privé
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| 49, rue de Rivoli, Ier arrondissement |
Selon Claude Mignot, dans son ouvrage intitulé Grammaire des immeubles parisiens, les façades sculptées vont avoir tendance à se généraliser dès les années 1840. De nombreux hauts-reliefs, comme on peut le voir sur la photo ci-dessus, vont décorer des façades d'immeubles. Sur la sculpture de François-Félix Roubaud de 1856, on remarque deux personnages à demi-nus qui entourent un oculus. Le personnage de droite tient une corne d'abondance tandis que celui de gauche porte une torche à sa main gauche.
Mettre en valeur une porte
Les bas reliefs qui décorent les façades d'immeubles de première classe se trouvent essentiellement au-dessus d'une porte. L'objectif est d'embellir la porte d'entrée de l'immeuble pour accueillir ses résidents.
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| 12, rue Montmartre, Ier arrondissement |
Au numéro 12 de la rue Montmartre, dans le quartier des Halles, vous pouvez observer une porte d'entrée présentant une sculpture.
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| Détail de la façade |
Deux femmes mollement étendues et nues nous accueillent autour d'une somptueuse vasque de fleurs. Jean-Marc Larbodière dans son ouvrage consacré aux plus belles portes de Paris ne mentionne aucune date ni maître-d'œuvre pour cette porte. La taille du numéro 12 sculptée sur le mur pourrait nous faire penser à l'entrée d'une ancienne maison close mais ce n'est pas sûr.
Embellir un hôtel particulier
Les bas reliefs permettent également de mettre en valeur un hôtel particulier comme on peut le voir sur la photo ci-dessous.
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| 7, rue de Liège, IXe arrondissement |
Les sculptures situées au premier étage ne laissent pas indifférent les passants.
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| Détail de la façade |
Les sculptures représentent deux personnages à demi-nus, notamment le personnage féminin. Le personnage masculin fait un déhanché que l'on retrouve souvent dans les cariatides. Toutefois, ces sculptures de style antique ne sont pas des cariatides car elles sont nichées en cul-de-four entre deux pilastres et ne soutiennent aucun balcon. C'est de la pure décoration.
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| 7, rue de Tilsitt, XVIIe arrondissement |
Autre exemple des sculptures qui mettent en valeur la porte d'un hôtel particulier, la façade de l'hôtel de Günzburg situé dans la rue de Tilsitt à deux pas des Champs-Elysées.
Selon Jaqueline Nebout dans son ouvrage consacré aux cariatides, cet édifice aurait été construit entre 1868 et 1870 par Jacques-Ignace Hittorff et Charles-Hubert Rohaut de Fleury. On fait appel à Frédéric-Louis Bogino pour les sculptures.
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| Détail de la façade |
La façade présente deux femmes nues allongées. Ces deux personnages sont pris en sandwich entre la porte et le balcon du premier étage qui présente deux atlantes demi-nues.
D'après Jacques Hillairet, dans son Dictionnaire historique des rues de Paris, cet hôtel particulier — classé Monument Historique selon la base POP — aurait abrité le Ministère de la Santé Publique par le passé.
Entre deux fenêtres
Au début du XXe siècle, les sculptures vont orner les façades entre les fenêtres et vont prendre de la hauteur.
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| 8, rue Philibert Delorme, XVIIe arrondissement |
Lors de mes pérégrinations, je suis tombée sur cet immeuble qui date de 1912. Sur la façade, il est indiqué que les architectes sont « A. Augé et M. Magès architectes S.A.D.G. » (Société des Architectes Diplômés par le Gouvernement, l'ancêtre de l'Ordre des Architectes). Ici, la porte d'entrée est simplement pourvue d'ornementations florales.
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| Détail de la façade |
Pour cet immeuble de première classe, on fait appel au sculpteur Eugène Thivier (on aperçoit la signature de l'artiste). Il faut lever le nez en l'air pour remarquer la sculpture.
Deux jeunes personnages féminins très peu vêtus posent alanguis sur des guirlandes de fleurs. La sculpture est située entre deux fenêtres du quatrième étage. Au début du XXe siècle, en plus du deuxième étage où l'on trouve un balcon en ferronnerie (« l'étage noble » propre au style haussmannien), les étages supérieurs sont eux aussi mis en valeur. Il est fort probable que cet immeuble soit doté d'un ascenseur. De part cette prouesse technique, les étages situés en hauteur donnent dorénavant « une vue » qui fait augmenter la valeur du bien. Toutefois, afin de permettre à la façade de conserver un visuel plus harmonieux, les architectes vont garder le balcon du deuxième étage.
Fastueuses façades
S'il y a un architecte à Paris qui aime décorer ses façades par des sculptures c'est bien Jean Marie Boussard qui a œuvré notamment dans l'habitat privé du très chic XVIe arrondissement.
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| 1, rue de l'Yvette, XVIe arrondissement |
Dans l'angle de la rue de l'Yvette et de la rue du Jasmin, l'architecte Jean Marie Boussard construit dès 1911, nous précise Claude Mignot dans sa Grammaire des immeubles parisiens, un immeuble de rapport.
Sur la photo ci-dessus, vous pouvez observer un couple de deux femmes nues assises sur une sorte de vague. Elles décorent ainsi une fenêtre en plus de la petite tête de bélier au centre (cet animal pourrait être associé à la fécondité dans la symbolique animalière). On remarque que les femmes sont coiffées comme les femmes du début du XXe siècle et ne sont pas associées à la mythologie. La fenêtre est pourvue d'un coquillage (autre symbole de fécondité). Cette sculpture est ainsi reproduite côté rue du Jasmin. Nous avons affaire à un luxueux immeuble.
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| Détail de la façade |
Construit en pierre de taille selon le PLU, l'immeuble présente également de vigoureuses atlantes torses nus. Les sculptures soutiennent le balcon du quatrième étage. Les coquillages sont également reproduits en série.
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| Détail du 6, rue du Jasmin, XVIe arrondissement |
De petits bas reliefs comme ceux que l'on voit sur les photos ci-dessus et dessous viennent décorer les côtés latéraux des portes d'entrées. On retrouve encore le corps dénudé d'un personnage féminin. Ce personnage est entouré de putti.
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| Détail du 6, rue du Jasmin, XVIe arrondissement |
On trouve également un personnage féminin avec un enfant qui transporte du blé. Nous sommes face à un immeuble qui met en avant la fécondité. Bien que l'immeuble ait été construit dès 1911, sur la façade, on peut lire les dates 1914-1916 : nous sommes en plein milieu de la Première Guerre mondiale. L'idée représentée à travers cette façade serait d'illustrer le besoin de fonder des familles.
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| Détail du 1, rue de l'Yvette, XVIe arrondissement |
Le luxe s'exprime également à travers les mosaïques dans le hall d'entrée de l'immeuble. Les résidents sont accueillis notamment par un personnage féminin qui montre ses gambettes et un enfant (la mère et l'enfant). Nous sommes loin des jeunes filles légèrement vêtues de l'immeuble de la rue Philibert Delorme vues précédemment.
Compte tenu du luxe de la façade, nous pouvons en déduire que cet immeuble a été conçu pour des familles particulièrement aisées.
La symbolique des façades
La présence de sculptures et autres bas reliefs sur nos façades sont souvent symboliques.
Paris protégée par des anges
Parmi les symboles que l'on peut voir sur les façades sculptées parisiennes, l'ange apparaît souvent. Sur la photo ci-dessous, on aperçoit un ange sculpté entre deux fenêtres. Habituellement pour illustrer un ange, les sculpteurs ont tendance à représenter de tout petits enfants, des angelots. Néanmoins, au numéro 4 de la rue des Chartreux, l'ange représenté ici est un grand enfant. C'est la seule représentation d'un très jeune personnage nu que j'ai trouvé lors de mes pérégrinations. Toutefois, on peut y voir une dimension religieuse.
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| 4, rue des Chartreux, VIe arrondissement |
Dans la photo ci-dessous, deux anges vous invitent au 1 et au 3, rue Laffitte dans le IXe arrondissement. Cet immeuble richement décoré aurait été construit dès 1839 par un certain Victor Lemaire d'après Jean-Marc Larbodière dans son ouvrage consacré aux plus belles portes de Paris.
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| 1-3, rue Laffitte, IXe arrondissement |
Selon Jacques Hillairet dans son Dictionnaire historique des rues de Paris, les hôtels Choiseul Stainville et Cerutti vont être occupés par les banquiers Carette et Minguet, puis par la Compagnie du Gaz. Depuis les années 1960, l'immeuble appartient à la BNP, l'actuelle BNP-Paribas.
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| Détail de la façade |
Deux personnages ailés posent dans leur simple appareil au-dessus de la porte. Selon un article du journal Le Monde paru le 10 septembre 1973, cet immeuble, qui faisait partie de la « Cité des Italiens » aurait été sauvé de la démolition grâce à l'intervention du ministre de la Culture de l'époque, M. Maurice Druon. Les anges, tout comme l'aspect général de la façade, sont sophistiqués, très fins et gracieux. Nous sommes face à un immeuble de style néo-renaissance.
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| 4, rue de la Paix, IIe arrondissement |
Je vous emmène du côté de la très chic rue de la Paix. Entre les joailleries et les boutiques de prestige, vous croiserez une porte pourvue de sculptures ailées.
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| Détail de l'entrée |
Selon le PLU, l'immeuble de rapport construit à la demande de la « Caisse des familles » en 1860 a été édifié par Pierre Manguin. L'auteur de la sculpture est le républicain Jules Dalou. Toujours d'après le PLU, ces deux anges à demi-nus seraient des Renommées. Dans la mythologie gréco-romaine, la Renommée est une divinité qui incarne les bienfaits des œuvres sociales (ici, la Caisse des familles). Représentée ici sans la trompette, la Renommée est associée au dieu Hermès — on remarque la présence du caducée tenu par le personnage de droite qui est un attribut d'Hermès.
La mythologie comme source d'inspiration
Comme on a pu le voir avec les Renommées, la mythologie est toujours présente sur nos façades animées.
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| 10, boulevard de Strasbourg, Xe arrondissement |
Autre exemple de personnages ailés qui pourraient faire allusion à la Renommée, les deux anges du 10, boulevard de Strasbourg dans le Xe arrondissement. Même si le caducée n'apparaît pas, les deux personnages dénudés de cette adresse posent à l'entrée de l'ancien siège de la parfumerie Piver selon Jacques Hillairet dans son Dictionnaire historique des rues de Paris. Cette parfumerie commerçait en 1868, un savon à suc de laitue très appréciée par l'empereur Napoléon III. Ici, les Renommées sont une allégorie du commerce.
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| 116, rue Réaumur, IIe arrondissement |
Je vous propose d'observer l'immeuble situé au 116, rue Réaumur dans le IIe arrondissement. Outre les atlantes qui soutiennent les étages supérieurs de l'immeuble, on aperçoit juste au-dessus de la porte d'entrée une sculpture représentant une femme plutôt dénudée avec des angelots.
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| Détail de la façade |
Selon Jean-Marc Larbodière dans son ouvrage consacré aux plus belles portes de Paris, il s'agit d'une représentation de la naissance de Vénus. Cette dernière repose sur un coquillage. L'immeuble construit en 1897 serait l'œuvre d'Albert Walwein. D'après le PLU, cet édifice aurait été construit pour des locaux commerciaux et industriels notamment de tissus en gros. Enfin, cette façade aurait été primée au Concours des façades de la Ville de Paris, concours qui aurait débuté dans la rue Réaumur.
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| 45, rue Ribera, XVIe arrondissement |
La mythologie gréco-romaine s'illustre également à travers des scènes. Sur la photo ci-dessus, une femme nue tient une corne d'abondance. Le personnage est assis sur un char tiré par des chevaux. Nous sommes face à l'entrée du numéro 45 de la rue Ribera. Cet immeuble construit en 1894 est l'œuvre de Jean-Marie Boussard. Selon le PLU, il s'agirait d'un pastiche des Chevaux du Soleil de l'Hôtel de Rohan.
La mythologie au service du commerce
La façade animée permet d'illustrer la fonction d'un immeuble. Hermès, dieu du Commerce sert souvent de modèle pour illustrer une entreprise ou un magasin. On retrouve ce personnage parfois à l'entrée des passages couverts, lieux de commerce.
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| 1, rue du Bouloi, Ier arrondissement |
On reconnaît Hermès à gauche de la photo à son casque ailé. À droite, avec son déhanché, on reconnaît Apollon. Ce dernier symboliserait la lumière et la beauté.
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| Détail de la façade |
Selon Jean-Marc Larbodière dans son ouvrage consacré aux plus belles portes de Paris, la présence d'Apollon s'expliquerait par le fait que ce passage couvert était éclairé au gaz lors de sa construction en 1826, une prouesse à l'époque.
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| 24-32, rue Clignancourt, XVIIIe arrondissement |
Sur la photo ci-dessus, vous pouvez voir l'entrée de l'ancien grand magasin Dufayel. Si ce nom ne vous dit rien, c'est tout simplement parce que les Grands Magasins Dufayel ont fermé leurs portes dans les années 1930. Toutefois, le bâtiment existe toujours et fait l'objet d'une restauration selon un article du journal Le Figaro Immobilier. Le bâtiment visible sur la rue de Clignancourt aurait été construit par l'architecte Gustave Rives en 1895.
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| Détail de la façade |
Selon le PLU, le fronton de 1895 est signé Jules Dalou. Cette œuvre s'intitule « Le Progrès entraînant dans sa course le Commerce et l'Industrie ». Le Progrès semble être représenté par un homme nu assis sur un char. À sa droite, un homme nu qui porte un casque et un caducée fait référence à Hermès, dieu du Commerce. Enfin, le personnage féminin qui tient des outils personnifie l'Industrie.
Le nu exposé au XXe siècle
Que reste t-il des façades animées au XXe siècle ?
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| 1, rue Lacretelle, XVe arrondissement |
Sur la photo ci-dessus, on peut voir deux athlètes entièrement nus en plein exercice physique. Nous sommes à l'entrée de l'école qui enseigne les Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives (STAPS). Cette école, créée en 1928 et alors appelée IREP selon le site Cairn.info, permet aux enseignants de se former au métier de professeur d'éducation physique et sportive. La sculpture représente deux personnages aplatis. Nous sommes en plein Art déco.
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| 46, rue Barrault, XIIIe arrondissement |
La photo ci-dessus présente une sculpture construite sur la paroi de l'édifice de l'École Nationale des Postes et des Télécommunications installée au 46, rue Barrault en 1934 selon le Professeur Philippe Gaillon dans un article consacré à l'histoire de l'école Télécom Paris rattachée à l'Institut Polytechnique de Paris. De nos jours, l'immeuble accueille un centre de recherches en sciences et technologies du numérique.
La sculpture de Félix Joffre, ne date pas des années 1930 comme on pourrait le penser par son style Art déco mais de 1962 selon le Pr Gaillon. L'œuvre, intitulée L'homme au cours des âges utilise les forces élémentaires pour les transmissions, représenterait les voies de communications utilisées depuis l'histoire de l'humanité.
On observe six personnages dénudés qui utilisent des moyens de communication élémentaires. On y voit notamment un homme et une femme qui incarnent la vue, des pigeons voyageurs, un homme qui envoie des signaux de fumée, un homme qui frappe dans ses mains, une femme qui semble crier et une femme qui souffle dans une vuvuzela (et pas une trompette) — instrument créée pour faire du bruit toujours selon le Pr Gaillon.
Au cours de vos balades dans Paris, vous croiserez encore d'autres bas reliefs qui embellissent et animent les façades.
Après avoir vu le nu exposé sans aucun complexe, jetons un œil au nu caché dans nos hôtels particuliers et quelques vestiges d'anciennes maisons de tolérance.
Le nu exposé dans l'architecture privée
Jusqu'à présent nous avons pu voir le nu à l'extérieur, en pleine rue à la vue de tous. Qu'en est-il du nu à l'intérieur ?
Tout comme pour les façades sculptées, le nu va également orner les intérieurs d'hôtels particuliers dès le XVIIe siècle avec notamment des cariatides avec ses figures mythologiques classiques et sages comme on peut le voir dans la photo ci-dessous.
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| Intérieur de l'hôtel du Luxembourg (actuel Sénat) |
En parallèle, au XIXe siècle, des hôtels particuliers construits pour des courtisanes vont faire leur apparition. Je vous propose d'en visiter un, celui de la Païva dans un premier temps, puis je vous emmènerai dans une ancienne maison close, au moins ce qu'il en reste.
Des lorettes aux « grandes horizontales »
Selon le Dictionnaire historique de Paris, au XIXe siècle, les prostituées sous la Restauration sont appelées des lorettes, premier niveau de la hiérarchie sociale des prostituées. Sous le Second-Empire, ces femmes deviennent des cocottes ou des demi-mondaines. Des femmes issues de milieux modestes, libres et cultivées vont attirer de puissants hommes parfois issus de l'aristocratie ou de la politique. Ces prostituées « haut de gamme » vont se faire construire de somptueux hôtels particuliers. Sous la IIIe République, ces prostituées de luxe vont êtres appelées les « grandes horizontales ».
Parmi la clientèle huppée, on trouve entre autres, le duc d'Aumale, le duc de Morny, le prince de Galles (futur Edouard VII)… En somme, le must de l'aristocratie. Paris, ville des arts et de la mode, devient également au XIXe siècle la ville des plaisirs. On vient à Paris aussi pour la prostitution.
Ces femmes vont s'entourer d'artistes et devenir de véritables mécènes. Alice Ozy, Cora Pearl, Valtesse de la Bigne, Liane de Pougy, la Belle Otero — pour ne citer que les plus connues — vont vivre dans le luxe. La marquise de la Païva en fait partie et se fait édifier un hôtel particulier sur l'avenue des Champs-Elysées.
Hôtels particuliers des demi-mondaines, l'exemple de l'hôtel de la Païva
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| Façade extérieure de l'hôtel de Païva, 25, avenue des Champs-Elysées, VIIIe arrondissement |
Au numéro 25 de l'avenue des Champs-Elysées, vous croiserez cette sublime façade néo-renaissance. Cet édifice construit de 1855 à 1866 a appartenu à la marquise de la Païva. Selon Arnaud Chicurel, dans son ouvrage intitulé Palais de Paris, le style néo-renaissance, très prisé sous Louis-Philippe a moins la cote en ce début du Second-Empire. Peu importe, du moment que la marquise en mette plein la vue ! Arnaud Chicurel rappelle que dans les années 1850, l'avenue des Champs-Elysées est surtout un lieu prisé par l'aristocratie et la très haute bourgeoisie. La Païva voulait montrer qu'elle était parvenue à un certain statut social.
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| Détail de la façade |
Le petit mascaron que l'on voit au -dessus des fenêtres serait une représentation de la marquise de Païva. Entourée d'animaux évocateurs (les lions aux extrémités des fenêtres ou des animaux nocturnes comme le hibou sur la frise sous le balcon) la marquise souhaite montrer aux visiteurs sa réussite sociale depuis sa façade. La résidente cherche à éblouir ses visiteurs et se représente un peu partout dans sa demeure comme on peut le voir sur la photo ci-dessous.
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| Mascaron du petit salon |
D'après l'historien Jacques Hillairet, dans son Dictionnaire historique des rues de Paris, la marquise de la Païva, alias Esther Lachmann, naît en 1819. Juive polonaise réfugiée en Russie avec ses parents, Esther s'installe avec sa famille à Paris dans les années 1830. En 1836, la jeune fille épouse un tailleur français, qu'elle trompe notamment avec un compositeur, un certain M. Hertz. Ce dernier lui permet d'entrer alors dans le grand monde. En 1851, veuve, Esther, qui devient « Thérèse » Lachmann rencontre un marquis portugais, Albino Franco Aranjo. Elle l'épouse et acquiert ainsi son nom et surtout son titre. La courtisane attire les hommes les plus fortunés et se fait offrir de somptueux bijoux, qu'elle surnomme « ses enfants », elle devient la maîtresse du tout Paris.
En 1853, la Païva fait la connaissance de Guido Henckel, prince de Donnersmark, cousin de Bismarck. Dès 1855, la marquise fait appel à l'architecte Pierre Manguin pour construire sa somptueuse demeure.
L'hôtel particulier est à l'image de la Païva : de l'érotisme, des sculptures partout, des dorures, de l'onyx, du marbre… Tout est surchargé.
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| Sol en marbre de l'escalier |
La Païva fait appel à des sculpteurs reconnus. Jacques Hillairet dans son dictionnaire évoque des noms tels que Jean-Paul Aubé, Barrias ou Cugnot entre autres pour décorer chacune des pièces de son hôtel particulier.
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| Escalier en onyx |
La photo ci-dessus représente l'escalier conçu en onyx où prédomine le jaune. L'escalier est en forme de « P » comme Païva. On est très proche du style du futur opéra Garnier qui sera construit quelques années après selon l'auteur des Palais de Paris.
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| Détail de l'escalier |
Le monogramme de la marquise apparaît sous l'escalier.
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| Sculpture |
Sur la photo ci-dessus, nous sommes toujours au niveau des escaliers. La marquise de la Païva se représente entièrement nue en Diane assise sur un dauphin.
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| Cheminée de la salle à manger |
Sur la photo ci-dessus, on aperçoit une cheminée qui trône dans la salle à manger. Il faut imaginer à l'époque une grande table, de la vaisselle de luxe, du champagne et des mets de luxe pour y recevoir ses invités. La cheminée, sculptée par Dalou, représente deux lionnes. Ces animaux ne figurent pas ici par hasard. La lionne symbolise la courtisane qui a réussi à faire fortune. La Païva veut montrer qu'elle se trouve au plus haut de la hiérarchie des courtisanes.
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| Détail du plafond |
Au plafond, on peut y voir une sculpture qui représente Diane chasseresse. Une fois de plus, on reconnaît la Païva représentée à travers les quatre mascarons.
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| Miroir du grand salon |
Dans sa somptueuse demeure, la marquise reçoit des artistes, des hommes politiques tels que Théophile Gautier, Émile Augier ou bien Léon Gambetta. Selon l'historien Michel de Decker, dans un reportage consacré à l'hôtel de la Païva, les frères Goncourt auraient dit de l'hôtel de la Païva qu'il était « Le Louvre du cul ».
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| Détail du plafond. |
La marquise fait appel au peintre académique Paul Baudry pour décorer le plafond de son grand salon. Cette œuvre, que l'on voit sur la photo ci-dessus s'intitulerait Le Jour chassant la Nuit. La Païva est représentée à droite de la peinture en véritable reine de la nuit, les bras levés et complètement nue. La marquise incarne ici l'allégorie de la nuit.
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| Cheminée de la grande salle |
Dans la grande salle, la marquise se fait construire une cheminée en marbre rouge et blanc par un certain Delaplanche.
Sur la photo ci-dessus, la marquise est représentée au-dessus de la cheminée en allégorie de la musique et de l'harmonie. Le tout est conçu en marbre de Carrare. Au centre de la photo, le sculpteur représente la danse des amours selon le reportage consacré à l'hôtel de Païva.
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| Plafond du petit salon |
Selon l'historien de Paris, Jacques Hillairet dans son dictionnaire, la marquise et le comte Henckel doivent quitter leur écrin dès 1875 pour aller en Alsace-Lorraine compte tenu des origines germaniques du comte. Le comte vend l'hôtel particulier en 1895 pour 1.430.000 Francs.
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| Salon de musique |
Dès 1895, le site devient un grand restaurant huppé.
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| Jardin d'hiver |
En 1902, l'hôtel de Païva devient le siège du Traveller's club ouvert encore de nos jours à une petite élite masculine et aristocratique.
L'hôtel de la Païva est classé Monument Historique nous précise Jacques Hillairet.
Vestiges des maisons closes à Paris
Nous quittons les hôtels particuliers luxueux des lionnes pour des lieux plus discrets.
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| 9, rue de Navarin, IXe arrondissement |
Sur la photo ci-dessus, on remarque une magnifique façade de style néo-gothique. Cette façade située au 9, rue de Navarin ne présente aucune sculpture. Cependant, selon les archives de l'INA, on sait qu'au centre de la façade figurait une sculpture érotique. Cette adresse, anciennement « chez Christine », abritait une maison de tolérance spécialisée dans le masochisme avec ses chambres de torture — ce qui expliquerait sa façade « médiévale ».
Petite histoire des maisons closes à Paris
L'essentiel de mes sources sur les maisons closes viennent de l'ouvrage de Paul Teyssier intitulé Maisons closes de Paris, architectures, immorales des années 1930.
Au Moyen-Âge, sous Saint-Louis, les lieux de prostitutions ont tendance à être relégués en dehors de l'enceinte de Philippe Auguste, en bordure de la ville (qui a donné le nom de bordel). Toutefois, certains quartiers intra-muros vont être réputés pour cette activité.
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| Jardin du Palais Royal |
Le Palais Royal au XVIIIe siècle est réputé pour être un grand lieu de la prostitution. Aujourd'hui, lorsque vous vous baladez dans les galeries du Palais royal, vous pouvez voir une vitrine qui rappelle que sous ce passage couvert, on y croisait des filles de joie.
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| Vitrine de la galerie de Valois, Ier arrondissement |
Sous Napoléon Ier, les maisons closes vont être plus encadrées et reconnaissables à leur lanterne rouge, à un gros numéro (tel que l'on peut voir sur la photo ci-dessous) ou une petite ouverture grillagée.
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| 2, rue Chénier, IIe arrondissement |
Certaines maisons de tolérance sont spécialisées ou attirent un certain type de clientèle.
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| 36, rue Saint-Sulpice, VIe arrondissement |
C'est le cas de la maison close du 36, rue Saint-Sulpice que l'on voit sur la photo ci-dessus. Ce lieu avait pour clientèle des ecclésiastiques. Compte tenu de la proximité avec l'église Saint-Sulpice située juste en face, il était facile pour un curé, habillé en laïque de s'y rendre puis de se confesser!
Toujours selon l'ouvrage de Paul Teyssier, Paris compte environ 200 maisons closes en 1840. Dans le dernier quart du XIXe siècle, le nombre baisse considérablement au profit de brasseries avec des serveuses en tenues sexy. On les trouve dans le quartier de Montparnasse, au Dôme, à La Coupole ou au Rotonde.
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| 122, rue de Provence, XVIIIe arrondissement |
Après la Première Guerre mondiale, l'urgence est de construire des logements. L'ouverture de lieux de tolérance va avoir tendance à diminuer au profit de bars et de restaurants. Sous l'Occupation, les lieux de prostitution célèbres, tel que le One-Two-Two (photo ci-dessus) vont attirer l'occupant nazi et les collabos.
Associée à cette période et à l'évolution des mœurs, la loi Marthe Richard oblige les maisons de closes à fermer en 1946. On vend alors les meubles de la honte aux enchères.
Aux Belles Poules, ancienne maison close classée Monument Historique
Hormis quelques façades, rampes d'escaliers et gros numéros, que reste-t-il des anciennes maisons closes à Paris ?
Je vous emmène Aux Belles Poules, unique ancienne maison close protégée aux Monuments Historiques à Paris.
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| 32, rue Blondel, IIe arrondissement |
Nous sommes rue Blondel, à proximité du métro Strasbourg-Saint-Denis. Cette rue est réputée pour être un lieu de prostitution encore aujourd'hui.
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| Mosaïque |
Aux Belles Poules ouvre ses portes en 1921. Selon l'actuelle propriétaire actuelle du lieu, Caroline Senot, on y accueille une clientèle plutôt bourgeoise. Les clients viennent boire un verre dans une salle couverte de miroirs et de mosaïques qui représentent des scènes de bacchanales tel que l'on peut le voir sur la photo ci-dessus. Puis, pour certains, les clients montent aux étages avec une prostituée pour une passe.
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| Salle aux miroirs |
Les miroirs sont partout : sur les murs et au plafond. Aux Belles Poules ferme ses portes en 1948, deux ans après la loi Marthe Richard. Les étages supérieurs sont alors transformés en logements étudiants.
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| Fresque |
Ce qu'il reste de cette ancienne maison de tolérance sont des fresques où l'on voit des scènes qui évoquent des fantasmes érotiques inspirées de la mythologie. Sur la photo ci-dessus on reconnait les satyres, personnages mythologiques connus pour leur appétence pour la beuverie selon le Dictionnaire de la mythologie gréco-romaine. Les personnages masculins sont mi-hommes mi-boucs. Le personnage de gauche joue de la flûte de pan tandis que celui de droite est occupé avec une nymphe ou une mortelle.
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| Mosaïque |
Comment avons-nous pu conserver cette salle quasi intacte alors que les maisons closes ont fermé dans les années 1940 ? Selon Caroline Senot, une entreprise d'informatique a occupé la grande salle pendant des années. Les murs de coffrage recouvraient les mosaïques et les miroirs. Personne n'imaginait ce qu'il y avait derrière. C'est à l'occasion d'une opération de travaux en 2014 que l'on découvre les mosaïques. C'est alors que la propriétaire entame des recherches, s'intéresse à l'histoire du lieu et à l'histoire de la prostitution — sans jamais la juger ni l'encourager — et décide d'en faire un lieu de conférence, de réception ou de tournages. Vous avez la possibilité de visiter ce lieu.
Fréquentez-vous une ancienne maison close ?
D'autres adresses existent à Paris. Dorénavant, lorsque vous croiserez une façade avec un numéro bien visible ou un petit grillage, vous vous poserez peut-être la question.
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| Delaville café |
Selon Paul Teyssier, l'auteur de Maisons closes de Paris, architectures, immorales des années 1930, l'actuel Delaville Café est un ancien lieu de plaisirs…
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| Escaliers et colonnes de marbre du café |
Au 34, boulevard de Bonne-Nouvelle, dans le Xe arrondissement, vous irez peut-être boire un verre ou dîner au Delaville Café. Selon le site Internet du Delaville Café, un restaurant autrefois appelé Le Marguery occupait les lieux. Les annexes du PLU évoquent la date de 1879 pour l'ouverture du restaurant. Des artistes, des demi-mondaines et des hommes politiques y prennent des repas. Le lieu dispose de salles aux décors exotiques où les rencontres peuvent avoir lieu.
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| Vitrail néo-gothique |
Le décor néo-gothique que l'on peut encore admirer et qui a été en partie restauré serait l'œuvre d'un certain Lucien Bessières et daterait de 1890 selon les annexes du PLU. Sur la photo ci-dessus, on observe ce remarquable vitrail.
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| Détail du plafond |
De nos jours, vous pouvez admirer les mosaïques du sol au plafond.
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| Détail d'une mosaïque au plafond |
Pour finir cette balade, je vous emmène au bar La Jaja.
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| Bar La Jaja, 56, rue d'Argout, IIe arrondissement |
Selon Paul Teyssier, l'auteur de l'ouvrage consacré aux maisons closes à Paris, l'honorable actuel bar de quartier La Jaja est un ancien hall de maison close des années 1930.
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| Peinture au plafond |
Au plafond, vous pouvez admirer une fresque représentant des femmes nues. Depuis la fermeture des maisons closes, cette fresque n'a pas bougé. Même si cette peinture aurait besoin d'une petite restauration, elle demeure un vestige des années 1930.
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| Détail du décor |
Le décor serait également construit dans les années 1930. Le personnage de gauche semble jouer de la flûte.
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| Mascaron |
Enfin la tête de diable que l'on voit sur la photo ci-dessus et qui trône en mascaron rappelle l'ancien lieu de débauche.
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