mercredi 30 janvier 2019

Paris au Grand siècle (2) : Du rustique français au style sévère

À quoi reconnait-on un immeuble du XVIIème siècle ? Nous allons voir dans ce chapitre les matériaux utilisés, les caractéristiques des immeubles du XVIIème siècle, l'évolution du style architectural et l'apparition de l'hôtel particulier.

Les matériaux

41, quai de l'Horloge Ier arrondissement

La brique et la pierre

Nous avons vu qu'à la Renaissance, voire au Moyen-Âge, le mélange de la pierre et de la brique brillaient sur nos façades parisiennes. On parle alors de « style rustique ». Nicolas Courtin évoque carrément une mode sous le règne d'Henri IV (1589-1610) dans son ouvrage Paris Grand siècle. Le numéro 41 du quai de l'Horloge sur l’Île de la Cité illustre ce phénomène.

9 quai Malaquais, VIème arrondissement

On trouve dans le vieux Paris, d'autres exemples de façades truffées de briques et de pierres tel le 9 quai Malaquais dans le VIème arrondissement. La base Mérimée nous évoque le nom d'hôtel de Transylvanie construit d'abord en 1623 toutefois cet immeuble a connu des transformations au XIXème siècle. Cet édifice est inscrit aux monuments historiques.

Généralisation de la pierre de taille


Cour de l'hôtel d'Albret, IVème arrondissement

La photo ci-dessus représente une partie de la cour de l'hôtel d'Albret situé au 29bis-31, rue des Francs-Bourgeois en plein cœur du Marais ; aujourd’hui cet emplacement est occupé par une administration de la ville de Paris.

D'emblée on constate que la façade est entièrement couverte de pierre de taille. Ici, point de brique. Seul le toit présente une couleur différente, il est constitué uniquement d'ardoise. Selon l'ouvrage À la découverte du Marais de l'ASMP, l'hôtel d'Albret aurait été construit sur un édifice de la seconde moitié du XVIème siècle. Le panneau affiché à l'entrée nous signale que cet hôtel particulier a connu des remaniements dès les années 1630 - puis au XVIIIème siècle sur la façade sur rue.

Cour de l'hôtel de Saint-Aignan

Autre exemple de l'utilisation de la pierre de taille, l'hôtel de Saint-Aignan situé au 71-73, rue du Temple dans le IIIème arrondissement, l'actuel musée d'Art et d'Histoire du Judaïsme.

La cour est de forme carrée, monochrome avec un toit d'ardoise. Afin de respecter la forme en carré de la cour, on remarque à gauche, la présence d'un mur renard (une façade d'apparat juxtaposée au mur mitoyen) pour garder une certaine symétrie.

On remarque enfin la présence de pilastres corinthiens entre chaque fenêtre et un fronton sculpté.
Cet hôtel particulier est l'œuvre de Pierre le Muet selon l'ouvrage À la découverte du Marais. Le site Wikipedia évoque l'année de sa construction vers 1644-1650 mais cette information reste à confirmer.

Caractéristiques de l'architecture du XVIIème siècle

Abandon de la polychromie


Détail d'une façade rue Monsieur-le-Prince, VIème arrondissement

Selon Nicolas Courtin dans son ouvrage Paris Grand siècle, la tendance à la monochromie avec une préférence pour le blanc va s'accentuer dès les années 1640 aussi bien dans les hôtels particuliers que dans les maisons plus ordinaires comme celles de la rue Monsieur-le-Prince.

Horizontalité et verticalité


91 rue Quincampoix, IVème arrondissement

C'est au XVIIème siècle, nous précise Nicolas Courtin que les immeubles vont gagner en hauteur, telle la rue Quincampoix ou la rue du Grenier Saint-Lazare dans le quartier de Halles. Souvent, un commerce abrite le rez-de-chaussée où l'on observe que l'immeuble a une épaisseur plus large et le résident entre chez lui par une porte latérale.

14, rue du Grenier-Saint-Lazare, IIIème arrondissement

Les immeubles vont également gagner en horizontalité (photo ci-dessous). Les étages sont délimités par des bandes horizontales. Dans les immeubles plus cossus, la porte cochère est plus grande.

4 rue Férou, VIème arrondissement

Frontons sculptés


9, rue Saint-Merri, IVème arrondissement

Le XVIIème siècle voit arriver des frontons sculptés (photo ci-dessus). C'est une période où l'on a tendance à ajouter des sculptures selon l'ouvrage de Nicolas Courtin. Ici, on distingue un coquillage entouré de fleurs. Cet hôtel particulier aurait été construit vers 1630 selon Jacques Hillairet dans son Dictionnaire historiques des rues de Paris.

Détail de la façade côté jardin du 26, rue Geoffroy l'Asnier, IVème arrondissement

Pour les plus fortunés, des sculptures sont intégrées tout le long des façades tel l'hôtel Chalons-Luxembourg situé dans le IVème arrondissement.

Mascaron de l'hôtel Chalons- Luxembourg

Ici les mascarons représentent des têtes grotesques. Sur la porte d'entrée, on est attiré par la tête de lion avec sa crinière abondante (photo ci-dessous).

Détail de l'entrée de l'hôtel Chalons- Luxembourg

Selon À la découverte du Marais de l'ASMP et d'après l'inscription sur la porte d'entrée du 26, rue Geoffroy l'Asnier, cet hôtel particulier daterait de 1625. Les noms mentionnés seraient ceux de ses occupants.

Les fenêtres et lucarnes

Fenêtres

Depuis le Moyen-Age, puis au début de la Renaissance, les fenêtres sont en majorité pourvues de meneaux, c'est-à-dire d'une structure en pierre comme on peut le voir à l'hôtel Scipion Sardini.

Au XVIIème siècle, la fenêtre est pourvue de meneaux en bois qui laissent mieux passer la lumière.

Fenêtre de l'hôtel Scipion Sardini
Fenêtre de l'hôtel Amelot de Bisseuil 47, rue Vieille-du-Temple, IVème arrondissement


D'une manière générale, il faut rappeler aux promeneurs que les fenêtres que l'on voit sur les façades ne datent pas du XVIIème siècle. Elles ont souvent été remplacées dès le XVIIIème siècle selon Nicolas Courtin. Les carreaux du XVIIème sont généralement de petite taille.

Lucarnes

Au cours du Grand siècle, on trouve des lucarnes de formes différentes.

Cour de l'hôtel Le Rebours situé au 12, rue Saint-Merri, IVème arrondissement

On peut les voir au niveau des combles (photo ci-dessus). D'après l'ASMP il s'agirait de lucarnes typiques du « style Louis XIII ».
Ce qu'on appelle communément le style Louis XIII ne concerne pas forcément les constructions qui ont été édifiées sous le règne de ce roi mais il débute plus ou moins vers 1580 pour se terminer vers 1635 nous dit J.M. Labordière dans son ouvrage Les hôtels particuliers parisiens.

Cours de l'hôtel d'Albret avec ses lucarnes

Toits d'ardoise


76, rue des Archives, IIIème arrondissement

Le plomb et la tuile sont utilisés au XVIIème siècle mais c'est surtout l'ardoise que l'on utilise pour construire les toits parisiens comme par exemple l'hôtel Le Pelletier de Souzy qui daterait du deuxième quart du XVIIème selon la base Mérimée.

Cour de l'hôtel Donon situé au 8, rue Elzévir, IIIème arrondissement

Même chose pour l'hôtel Donon construit d'abord en 1575 puis transformé au XVIIème et XVIIIème siècle selon l'ASMP.

Tourelles


Angle du 47 rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie et de la Temple, IVème arrondissement

Autre caractéristique des maisons anciennes du XVIIème siècle, on trouve des tourelles. Selon J.M. Labordière dans Les Hôtels particuliers parisiens, on en trouvait déjà au Moyen-Âge mais cette tendance va se poursuivre au XVIème siècle puis au début du XVIIème siècle comme celle du 47, rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie en plein cœur du Marais de forme rectangulaire. Selon Jacques Hillairet dans son Dictionnaire historique des rues de Paris, cette tourelle daterait de 1610.

Prolifération de l'hôtel particulier


Hôtel Feydeau de Montholon, VIème arrondissement


Selon J.M. Labordière dans son ouvrage Les hôtels particuliers parisiens, on va construire des hôtels particuliers dès la seconde moitié du XVIème siècle mais c'est surtout à partir du début du XVIIème que le nombre d'hôtels particuliers va constamment augmenter. Cette augmentation, selon l'auteur serait encouragée par la politique urbaine exercée par Henri IV au moins jusqu'à son assassinat en 1610 avant de connaître une petite baisse puis un regain dès 1625.

Qu'est-ce qu'un hôtel particulier?

Plus qu'une maison, l'hôtel particulier est une demeure qui généralement prend de la place et qui est destinée à abriter une famille selon J.M. Labordière.
Alexandre Gady dans sa conférence intitulée L'hôtel particulier en France, XVI-XIXème siècle (1) nous fait savoir que lorsqu'on dit « famille », il ne s'agit pas juste d'un couple avec enfants mais on parle de famille élargie (parents, grands-parents, cousins…) et du personnel (valets, cuisiniers…). Il faut donc un lieu suffisamment grand pour abriter ce monde.
La plupart du temps, l'hôtel particulier est construit en pierre de taille et possède des toits d'ardoise. Il possède généralement deux ailes.

Hôtel Guénégaud-des-Brosses, IIIème arrondissement

L'hôtel particulier a souvent une forme de quadrilatère, le pavillon se situe toujours entre cour et jardin et possède une porte cochère tel l'hôtel Guénégaud-des-Brosses que l'on voit sur la photo ci-dessus.

Balcon de l'hôtel de Lauzun situé au 17 quai d'Anjou IVème arrondissement

Qui dit famille élargie avec du personnel à abriter dit richesse ! En effet, seuls les plus fortunés — soit la noblesse — pouvaient s'offrir un hôtel particulier. Souvent, ce sont des proches du pouvoir comme l'hôtel Guénégaud-des-Brosses construit par François Mansart en 1652 pour Jean-François Guénégaud conseiller d'État nous précise l'ASMP ou bien l'hôtel de Lauzun construit par Louis Le Vau pour le financier Charles Gryun en 1657 précise Wikipédia.

L'hôtel de Lauzun situé sur l’Île-Saint-Louis (photo ci-dessus) possède un balcon, ce qui est nouveau (les premiers balcons dateraient des années 1640 selon J.M. Labordière. Cet hôtel daterait du troisième quart du XVIIème siècle selon la base Mérimée (l'hôtel est classé monument historique). Le balcon noir et doré est un signe de richesse. L'hôtel particulier a pour fonction de montrer sa richesse (le balcon) et d'être vu sans être vu (derrière sa porte cochère) selon Alexandre Gady.

Le conférencier ajoute que ce sont des personnes de même statut social qui vont se regrouper (un hôtel particulier ne se trouve jamais dans un lieu isolé) soit dans le Marais ou l'Île-Saint-Louis et surtout près des lieux de pouvoir, le quartier du Louvre par exemple pour la première moitié du XVIIème siècle.
Malgré ces signes extérieurs de richesse, les hôtels particuliers sous Louis XIV — à partir des années 1640 — vont devenir plus sobres au moins vus de l'extérieur !

Vers un style plus sévère ?


Entrée du 70, rue des Archives, IIIème arrondissement

À partir des années 1640, les façades vont avoir un aspect plus austère. Nicolas Courtin évoque un « style sévère » qui va se répandre sous le règne de Louis XIV.
Sur la photo ci-dessus, on remarque la présence d'un fronton rectangulaire, ce qui donne un côté moins chaleureux — c'est une porte d'entrée, celle qui nous accueille. Ce fronton est pourvu d'un demi-cercle, d'une sorte d'oculus au centre orné d'un mascaron. Ce dernier représente un visage plutôt masculin avec un casque ailé, on pense ici à Hermès souvent représenté ainsi.

72, rue des Archives, IIIème arrondissement

Les hôtels de Montescot et de Villeflix (photos ci-dessus) illustrent cette austérité.

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